Il est des événements estivaux qui font froid dans le dos. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on les nomme faits “d’hiver”. La “chasse” aux Roms ouverte cet été est au nombre de ceuxlà. Comment un fait divers (celui de Saint- Aignan), relevant du droit commun, impliquant des citoyens français, a-t-il pu conduire à une politique d’expulsion(*) ciblée, massive, et surmédiatisée des Roms, initiée au plus haut niveau de l’Etat ? Il n’est pas question pour la Licra de prendre part aux polémiques politiciennes auxquels ces évènements ont donné lieu.
Le sujet est trop grave pour ne pas concerner tous les républicains et démocrates, de droite comme de gauche. Il n’est pas non plus question pour la Licra de cautionner les parallèles hasardeux opérés par certains, avec la période sombre de la Seconde Guerre mondiale. On ne dira jamais assez que le gouvernement de la République n’est pas celui de Vichy et que les Roms ne sont pas envoyés à la mort. Il n’empêche. Les images de familles entières, encadrées par des policiers en tenue, emportant avec elles leur baluchon d’infortune, renvoient, qu’on le veuille ou pas, à des scènes qu’on espérait ne plus jamais voir sur notre bonne terre de France. Il n’était pas possible à la Licra de fermer les yeux et de se taire, sauf à renier son histoire et ses pairs. Le sort de celles et ceux qui choisissent la France pour asile, ne sera jamais indifférent à la Licra, d’où qu’ils viennent et quelles que soient les raisons de leur exode. Parce que nous savons mieux que quiconque, qu’on ne quitte jamais son pays dans le plus grand dénuement, avec femmes et enfants, sans avoir de sérieuses et douloureuses raisons de le faire. Parce que la France incarne, depuis deux siècles, des valeurs, une histoire et des traditions qui constituent son identité. Il n’est point besoin de grand débat pour le savoir, mais de constance et de détermination pour le rappeler. Parmi les peuples rejetés, le Peuple Rom tient une place à part.
La Licra s’honore d’avoir été à ses côtés, bien avant que le sujet soit “d’actualité”. Nos lecteurs les plus anciens se souviennent sans doute de la chronique intitulée “la vie du Peuple Rom” que notre journal lui a longtemps consacrée. Il est vrai que l’histoire des Roms est marquée par les mêmes pogroms, les mêmes stigmatisations, les mêmes discriminations, que celle des juifs d’Europe Centrale, pour la défense desquels la Licra a été constituée. Ce n’est pas un hasard si l’Allemagne nazie leur a réservé un sort identique. Ce n’est pas un hasard non plus s’ils sont régulièrement désignés comme responsables de tous les échecs dont les politiques refusent d’assumer la responsabilité. La politique du bouc émissaire est, en période de crise, vieille comme le monde. Il est certes possible que DES Roms participent à l’insécurité ambiante, mais en aucun cas LES Roms. La “nuance” est d’importance. C’est celle qui sépare la personnalisation de la généralisation, principe essentiel de notre droit pénal. Pour quelle raison le délit commis par un Rom justifierait l’expulsion DES Roms ? Existerait-il une culpabilité générale qui justifierait une sanction collective ? Ne nous leurrons pas. Il y a une continuité, qui mène du débat sur l’identité nationale de l’hiver dernier, aux discours sécuritaires de cet été, en passant par l’épisode printanier Eric Zemmour. Tous les éléments vont dans le même sens : celui de la stigmatisation par amalgame. La réduction du débat conduit sans nuance du réfugié à l’immigré, de l’immigré au clandestin, de l’étranger au Français d’origine étrangère, des gens du voyage aux Roms, des Roms à la délinquance.
Le projet de déchéance de la nationalité pour les assassins de policiers devenus français depuis moins de dix ans est à cet égard symptomatique. Personne, à la Licra ou ailleurs, ne pleurera sur le sort d’un assassin de policier, ou de qui que ce soit d’autre d’ailleurs. Mais ce n’est pas cela qui est ici est cause. C’est l’indivisibilité de la République et l’égalité des citoyens devant la loi, toutes deux garanties par l’article 1er de la Constitution de 1958, et le droit du sol, fondement de notre droit de la nationalité. Créer des catégories ethniques et des citoyens de seconde zone qui ne seraient français que sous condition suspensive revient, de fait, à un morcellement de la République, contraire à ses principes fondateurs. La France ne fait pas de différence entre ses enfants selon l’ancienneté de leur carte d’identité. Elle condamne les assassins avec la même rigueur, sans frapper les uns d’une double peine dont les autres seraient dispensés. La France ne connait pas d’autre communauté que la communauté nationale. Rappeler ces évidences n’est pas une marque d’angélisme, mais de réalisme. C’est notre rôle de le faire.
(*) L’expulsion dont il est ici question est bien sur celle du territoire national. La Licra n’a rien à dire s’agissant des expulsions de
terrains occupés illégalement, que ce soit par des Roms ou qui que ce soit d’autre, dès lors que ces expulsions sont opérées en
exécution de décisions de justice, conformément à la loi et dans le respect des personnes concernées.