Il aura fallu la photographie insoutenable d’un petit garçon mort sur la grève pour réveiller nos consciences assoupies.
Les articles et reportages sur les milliers de noyades en Méditerranée et les corps décomposés de « migrants » dans un camion abandonné, n’y suffisaient pas. Le poids des mots ne vaut pas le choc des photos.
Le public a besoin de voir pour croire et d’émotion pour se mobiliser. Les Etats, eux, n’ont pas d’émotion, ils ne réagissent que sous la pression de l’opinion publique.
Mais au-delà de la bataille de l’image, il y a la guerre des mots. Car en ce domaine plus qu’en tout autre, mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde. Ce n’est pas un hasard si les malheureux dont on parle sont désignés sous le vocable générique et anesthésiant de « migrants ». Les migrants sont ceux qui migrent. Le terme est rassurant en ce qu’il implique le mouvement. Le migrant est de passage, il n’a pas vocation à s’installer « chez nous ». Il est celui dont personne ne veut. Le migrant n’a pas de statut. Au gré des flux et des flots, des frontières qui se ferment, de canots de fortune, de passeurs qui font fortune, de campements insalubres et d’humiliations successives, il perd même son statut d’humain.
Les migrants ne sont plus des hommes, des femmes et des enfants, mais des cohortes faméliques et hagardes dont le sort ne dépend que de l’empathie inspirée par une photographie volée sur une plage. Le terme de migrant désigne la conséquence, pas la cause. Dans le drame que nous connaissons la cause est pourtant connue. Elle se nomme guerre, mort, génocide, dictateurs sanguinaires, islamistes fanatiques … Le statut qui en découle porte aussi un nom, celui de réfugié.
Aylan n’était pas un migrant, Aylan était un réfugié, comme les grands parents de nombre de ceux qui hurlent aujourd’hui au loup et qui seraient inspirés de se souvenir d’où ils viennent. Le statut de réfugié implique le droit d’asile. Est-ce pour s’en affranchir qu’on préfère ne pas nommer les choses ? On m’objectera que parmi ces pauvres ères qui se sont résignés à déraciner leur famille pour tenter de sauver leur vie, se sont peut-être mêlé des réfugiés économiques et climatiques, voire même quelques terroristes en puissance. C’est possible. Devons-nous pour autant vouer à une mort certaine des milliers de malheureux innocents ? La solution serait pour une poignée d’élus, d’accueillir les seuls réfugiés chrétiens. Comptent-ils demander aux petits garçons de baisser leur pantalon pour s’assurer qu’ils sont bien nés ? La seule idée d’une telle sélection déshonore ceux qui l’émettent et pire, déshonore la France. Dans les années 30, face à l’afflux de réfugiés fuyant les pogroms d’Europe Centrale et l’Allemagne nazie, le Président de la Licra écrivait dans le Droit de Vivre :
« Notre devoir c’est d’assister les errants du nouvel exode avec tous les égards qui sont dus à des hommes dont brusquement le destin s’effondre… Nous ne voulons pas que les malheureux échoués ici aient l’impression d’être traités en clochards. Nous voulons qu’ils gardent avant tout le sentiment de leur dignité. Leur venue parmi nous ne doit pas les abaisser à leurs propres yeux. Des temps meilleurs viendront pour eux, il faut l’espérer. Qu’ils ne conservent pas de leur passage ici le souvenir d’une déchéance ».
17.09.2015