Ce procès, vous le devez non pas à ceux qui ont dénoncé vos propos, mais au Procureur de la République, qui a décidé qu’ils méritaient d’être poursuivis et soumis à l’appréciation d’un tribunal.
Lettre ouverte à Georges Bensoussan et à ses soutiens.
« Monsieur,
Le samedi 10 octobre 2015, invité sur France Culture aux côtés de l’historien Patrick Weil dans l’émission Répliques animée par Alain Finkielkraut, vous déclariez :
Le 25 janvier prochain, vous serez jugé par la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris pour « provocation à la haine raciale ».
Ce procès, vous le devez non pas à ceux qui ont dénoncé vos propos, mais au Procureur de la République, qui a décidé qu’ils méritaient d’être poursuivis et soumis à l’appréciation d’un tribunal.
A la veille de l’audience, je veux, en tant que président de la LICRA, vous dire les raisons de la légitime colère qui agite nombre de militants antiracistes.
Vous êtes historien. Ce n’est pas rien. Ce statut confère le devoir de tendre à l’objectivité du savoir, et pour reprendre les mots de Marc Bloch, de se mettre « à la poursuite du mensonge et de l’erreur ». Que vous le vouliez ou non, vous avez une responsabilité particulière. Vous concourez à la formation de l’opinion publique et de l’idée que chacun peut se faire des sujets sur lesquels vous portez votre regard. En condamnant sans distinction plusieurs millions de nos compatriotes à un antisémitisme viscéral, vous créez des dommages considérables, bien plus que toute autre personne, en raison de l’autorité scientifique depuis laquelle vous vous exprimez.
Vous êtes historien de la Shoah. J’entends beaucoup de vos défenseurs, de bonne foi, nous dire que tout dans l’âme de votre recherche scientifique est aux antipodes du racisme et que votre investissement au sein du Mémorial de la Shoah devrait vous exonérer de toute forme de soupçon. Ce n’est pas votre œuvre ou votre personne qui sont en cause, mais vos propos du 10 octobre 2015. Et s’il s’agit de mettre à contribution votre curriculum vitae, qui mieux qu’un historien de la Shoah connaît le poids et les conséquences de l’essentialisation d’un groupe et de sa réduction à une réalité biologique atavique? S’il y a bien une personne qui n’avait pas le droit de céder à ce type de stigmatisation, c’était bien vous.
Mais le plus grave dans cette affaire, c’est que vos propos servent la surenchère extrémiste qui électrise notre pays. La manipulation du thème du « Grand Remplacement » est aujourd’hui devenue le mantra de l’extrême-droite identitaire et le mécanisme de généralisation contre un groupe, ethnique ou religieux, est le carburant de ceux qui défendent le racisme. Dire que dans « les familles arabes », on tète l’antisémitisme « avec le lait de la mère », c’est produire, en plus du mensonge, de l’exclusion et du rejet. Non, il n’existe pas « d’antisémites de naissance ».
Dénoncer et combattre l’enracinement de la haine des Juifs dans le monde arabe n’est évidemment pas un tabou. La LICRA le fait depuis des années et se dresse, avec la dernière énergie, contre ce fléau. Mais pour mener à bien ce combat, rien ne serait pire que de nous transformer en fauteurs d’injustice en assignant tous les arabes à une identité fondée sur l’antisémitisme et en cédant, pour reprendre les mots de Jaurès, « au mensonge triomphant qui passe ». Le faire, ce serait manquer gravement à la vérité et donner du crédit à une extrême-droite qui a fait de l’essentialisation une marque déposée dans les années trente en expliquant à nos concitoyens ce qu’était « le Juif », génétiquement assoiffé de pouvoir et biberonné à la domination capitaliste et financière du monde.
Il n’est pas possible d’anéantir l’antisémitisme que vous dénoncez à juste titre en faisant usage d’armes de destruction racistes.
En 1929, Lazare Rachline, co-fondateur de la LICA écrivait: « notre doctrine, c’est la conscience, notre programme, la justice ». La conscience, c’est qu’on ne combat pas l’antisémitisme sans combattre le racisme, comme on ne combat pas le racisme sans combattre l’antisémitisme. La justice, c’est de considérer que toutes les victimes de préjugés tenaces méritent le même traitement.
C’est au nom de cet idéal que je vous demande solennellement de dire, publiquement et clairement, que les propos que vous avez tenus le 10 octobre 2015 sur France Culture ne reflétaient pas votre pensée et de présenter des excuses, à celles et ceux, nombreux, notamment au sein de la Licra, que ces propos ont offensés.
Source : Le Huffington Post