15 juin 1987 : Raymond Aubrac coule la défense de Barbie

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En ce début de la sixième semaine du procès, nous en avons fini avec l’évocation des faits.

Tous les témoins de l’accusation et des parties civiles ont été entendus. Cette journée du 15 juin doit être consacrée aux témoins de la défense. L’heure de vérité est venue pour Jacques Vergès. Au cours des mois qui ont précédé le procès, il a multiplié les déclarations fracassantes selon lesquelles des révélations seraient faites, qui feraient regretter à la justice française d’avoir eu l’audace de vouloir juger Klaus Barbie. Comme il fallait s’y attendre, la montagne a accouché d’une souris. Les « bombes » de Jacques Vergès n’étaient que de vulgaires pétards mouillés.

Le Procureur Général Truche a néanmoins tenu à s’adresser à la Cour et aux jurés dès le début de l’audience, afin de les mettre en garde. Après être revenu sur l’audition des témoins d’intérêt général de la semaine précédente, dont nous avons vu les limites, il s’attaque de façon véhémente au système de défense de Klaus Barbie, qu’il qualifie de « défense de dérivation ».

Ce système « consiste à vous dire, la France a commis en Algérie des actes aussi graves que ceux qui me sont reprochés, et puisque ces actes n’ont pas été poursuivis il n’y a pas de raison que je le sois. Il s’agit d’un formidable aveu de culpabilité. ». Pierre Truche avoue avoir envisagé de s’opposer à l’audition des témoins de la défense, mais y avoir renoncé, considérant qu’il s’agirait d’une atteinte à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Achevant son propos, il demande cependant aux jurés d’être méfiants.

On pouvait espérer les déclarations liminaires achevées. Il n’en fut malheureusement rien. L’un des avocats de la partie civile décida en effet de son propre chef, et contre l’avis quasi unanime de ses confrères, de déposer des conclusions tendant à demander à la Cour de ne pas entendre les témoins de Klaus Barbie, au motif que les citations de ces témoins seraient nulles pour avoir été délivrées sous le faux nom de Klaus Altmann-Barbie. Argutie juridique aussi inutile que contreproductive, donnant à Jacques Vergès l’occasion d’un de ces numéros d’indignation qu’il affectionne. Après en avoir brièvement délibéré, la Cour n’a évidemment pas suivi la demande présentée, dont on aurait pu (et du) faire l’économie.

De fait, ce n’est qu’à 16h50 que se présente le premier témoin de la défense, en la personne de …. Raymond Aubrac !

Celui-ci tient aussitôt à préciser qu’il a été cité « par la défense mais pas pour la défense ». Le fait pour Jacques Vergès d’avoir convoqué l’un des résistants les plus emblématiques n’est évidemment pas innocent. Il avait déjà tenté de faire apparaitre Raymond Aubrac comme un traître, dans le film de Claude Bal « La vérité est amère » ce qui lui avait valu une condamnation pour diffamation. Raymond Aubrac n’a cependant pas voulu se dérober. Avec son témoignage, la limite du système de défense de Klaus Barbie apparait de façon éclatante. Voilà en effet un témoin qui accable celui-là même qui l’a fait citer au soutien de sa défense. Eclatant contre-exemple à enseigner dans les écoles d’avocats ! Les quelques tentatives de déstabilisation auxquelles se livrera Jacques Vergès feront long feu. Raymond Aubrac sortira très largement vainqueur de cet affrontement voulu par le défenseur de Klaus Barbie.

On nous avait annoncé que la résistance serait ébranlée, c’est la défense qui a coulé.

Il y avait peu de chance que les témoins suivants puissent efficacement venir à son secours. Eddine Lakdar Toumi est venu nous parler de la plainte dont il a saisi un Juge d’instruction, après que son père ait été tué au cours d’opérations en Algérie. Cette plainte a fait l’objet d’un non-lieu en 1962. Quelques années plus tard, la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Paris a, selon Jacques Vergès, jugé que les crimes contre l’humanité commis en Algérie étaient amnistiés. Et le témoin d’interroger : « pourquoi deux poids et deux mesures ?». Indépendamment du fait que la présentation de l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris par Jacques Vergès ne correspond pas à la réalité, la question posée par Eddine Laktar Toumi nous renvoie directement à la mise en garde préliminaire du Procureur Général Truche.

Paul Guillochon, qui se présente comme « colporteur », parle lui aussi des crimes auxquels il a assisté pendant la guerre d’Algérie. Il aura cependant peu de temps pour le faire. Le Président lui signifie en effet très rapidement qu’il est « hors sujet ». Paul Guillochon battra le record de rapidité de passage à la barre. Son témoignage a duré deux minutes.

Jacques Fastre, pour qui « ce procès est inutile car il réveille les actes commis dans toutes les guerres » ( !) subira le même sort.

Quant à Yves Danion, il aurait sans doute préféré rester moins longtemps à la barre, tant il est vrai que de témoin, il finira très rapidement par se sentir accusé. Il faut dire que l’homme est venu exposer à la Cour comment, jeune français de 17 ans, il s’est engagé dans la SS. Il devait normalement expliquer qu’étant lui-même SS, il pouvait attester que Klaus Barbie n’avait aucun pouvoir de décision. Le débat est cependant très rapidement venu sur le procès dont il a lui-même fait l’objet à la libération, ensuite duquel il déclare avoir été condamné à 10 ans de prison. Il semblerait en réalité qu’il ait été condamné à mort, mais que sa peine ait été commuée en raison de son jeune âge… Il fallait tout de même oser faire citer un tel témoin !

Le dernier, en la personne de Jacques Forment-Delaunay, tentera de semer le doute sur l’authenticité du télex d’Izieu accablant Klaus Barbie. Ensuite de l’intervention de Serge Klarsfeld, sa déposition tournera à sa confusion.

C’est ainsi que se termine la journée consacrée aux témoins de la défense. Ceux qui attendaient des révélations sulfureuses en seront pour leurs frais.

Le sentiment qui domine est que ces témoins étaient davantage ceux de Jacques Vergès que de Klaus Barbie…

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