On a hurlé « Juif, la France n’est pas à toi ! » dans les rues de Paris.
Pas le 6 février 1934, le 26 janvier 2014. Pas il y a quatrevingts ans, il y a moins d’un mois ! Je laisse aux historiens le soin de dire l’histoire et aux politologues de dire si la situation d’aujourd’hui est la même que celle d’hier. Moi, je suis président de la Licra, et ce que je sais, c’est que les slogans d’aujourd’hui font aussi mal que ceux d’hier. Ce que je sais, c’est que Bernard Lecache, alors président de la Lica, a ressenti il y a quatre-vingts ans ce que je ressens aujourd’hui. Ce que je sais, c’est que mon père, alors tout jeune militant, a ressenti ce que nos militants ressentent aujourd’hui.
En soixante années de vie dans ce pays, qui est le mien, pour la première fois, j’ai peur. Ce qui fait peur, ce n’est pas tant que quelques centaines d’extrémistes ont hurlé de telles horreurs, c’est que ça n’a provoqué aucun électrochoc dans la société française. Ce qui fait peur, c’est qu’il y a à nouveau dans ce pays des idéologues antisémites, dont la « littérature » et les caricatures n’ont rien à envier à celles de Brasillach et de « Je suis partout », qui remplissent des salles et dont les délires sont suivis par des centaines de milliers d’internautes. Voilà que, dans la France du XXIe siècle, notre France, on affiche son nationalisme en se référant à des traîtres qui ont fait allégeance à l’occupant nazi, et on n’hésite pas à s’affirmer national-socialiste, à l’instar de Soral, ce bateleur qui souffle à l’oreille d’un « humoriste ». Qui s’en émeut ? Au contraire, dénoncer ces terribles vérités expose à se voir interpeller (injurier) sur Tweeter en 140 signes de cet acabit : « Arrête tes pleurnicheries, Alain. Tu nous gaves avec ta Shoah ». Ou encore (dans le texte) : « gros fils de pute qd c dieudonne tu veu tt interdire mais qd canteloup se moque des noirs il a le droit ? » Car pour mieux vendre la soupe antisémite, il est désormais de bon ton de la mitonner à la sauce « concurrence mémorielle ». Elle a l’air moins réchauffée, mais les ingrédients sont les mêmes. On peut l’appeler « nouvel antisémitisme » ou, plus subtil, « deux poids deux mesures », elle a toujours le même goût et provoque la même nausée. Le mythe du « deux poids deux mesures » est un cancer qui gangrène notre société et ne profite qu’aux racistes et aux antisémites.
Quelle différence y a-t-il entre les racistes qui comparent Christiane Taubira à une guenon et les antisémites qui hurlent « juif la France n’est pas à toi » ? Il n’y a que les apprentis sorciers, les aveugles et les idiots pour ne pas comprendre que la cible est toujours la même. Noirs, juifs, musulmans, Roms, homosexuels… ne sont que la seule et même figure de « l’autre », cet être honni au seul motif qu’il est « différent ». C’est en associant les victimes des racistes et des antisémites qu’on triomphera d’eux. Nos anciens ont su faire front contre les fascistes du 6 février 1934. Faisons de même contre les salauds du 26 janvier 2014. « Raciste, antisémite, la France n’est pas à toi ! »