La France, fabrique des extrémismes

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Cette semaine était dédiée, comme chaque année, à l’éducation contre le racisme et l’antisémitisme. Dans le contexte et les drames que nous traversons, jamais sans doute cette exigence n’aura été aussi forte.

Lundi dernier, à la faveur du lancement de cette semaine d’actions étaient projetés au Musée d’Histoire de l’Immigration des extraits du documentaire « Les Français, c’est les autres », réalisé par l’avocate Isabelle Wekstein-Steig et le cinéaste Mohammed Ulad.

Une scène a frappé les esprits. Nous sommes au lycée professionnel Théodore Monod de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis. Un lycée qui compte 900 élèves, issus de 46 nationalités différentes, archétype d’un territoire qui souffre, où les grands ensembles construits dans les années 1960 sont devenus de véritables ghettos. Devant nous, une classe de lycéens à la parole brute, une classe monochrome, symbole d’une société qui enferme et qui sépare. Une enseignante confie le désarroi de ces lycéens :« Nos élèves se demandent souvent pourquoi ils ne sont qu’entre noirs. Cela leur renvoie une image d’échec, qui se double avec le fait d’être en lycée professionnel, très décrié en France ». Et lorsqu’il s’agit de trouver un stage, la discrimination est évidemment la règle et toute réussite devient mission impossible.

A la première question posée – « Qui est de nationalité française ? – toutes les mains se lèvent. A la seconde question – « Qui se sent Français ? », une seule main, timide, émerge. Poser la question, c’était déjà sentir qu’il y avait un problème profond. Et un élève de conclure « Je sens en moi que je ne suis pas entièrement Français. Pour moi être français, c’est être blanc. Les Français, ce sont les blonds aux yeux bleus ».

Capture Einstein

 

Ces jeunes gens n’éprouvent aucun sentiment d’appartenance à la République. Ils sont nés ici, ils sont Français, mais ne considèrent la France que comme un « pays d’accueil » . Ils sont des « Français de papiers ». Puisqu’eux-mêmes se considèrent comme étrangers à la nation, comment pourrait-il en être autrement du regard que les autres posent sur eux ? Face à cette situation, héritée de trente années d’échec politique, la France est devenue une fabrique à extrémismes, qui tendent à la République un piège létal.

Une mécanique infernale est lancée, celle des identités fantasmées. D’un côté l’extrême-droite qui justifie son racisme et le dessein qu’elle a toujours eue de « revenir » à une France blanche, qui  n’a jamais existé. De l’autre, le repli communautaire, organisé autour de la dialectique « dominant-dominé » et une contre-culture identitaire, souvent religieuse, qui essentialise l’autre, notamment les juifs, réputés « tous riches et crevards ». Face à cette situation, le devoir des antiracistes, de tous les républicains est aussi simple que difficile. Il consiste à  entendre ce que nous disait, il y a plus d’un siècle, Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »

Il nous faut redonner du sens à la nation et rappeler sans cesse son caractère indivisible. Notre pays est certes composé de communautés, liées à l’origine, à la religion, aux modes de vie, à la sexualité, au lieu de résidence, au travail, etc. Mais la seule loi qui s’impose à tous, c’est celle de la République. Donner une légitimité politique au fait communautaire, ce serait ouvrir la boîte de Pandore et vendre la République à la découpe. Ce serait inéluctablement renforcer les entreprises totalitaires, sectaires et terroristes qui ont un intérêt à l’affrontement des communautés, ne serait-ce que pour alimenter leur vivier de recrutement.  Il nous faut transmettre à ces jeunes l’idée qu’il existe un horizon commun, fondé sur des valeurs universelles auxquelles ils ont droit, comme tous les Français, comme tout citoyen.

 

Pour y parvenir, il faut que l’école renoue avec sa promesse d’égalité des chances, aujourd’hui en panne. Mais il faut aussi mettre en œuvre un principe simple, celui de la tolérance zéro. Il n’existe aucune excuse dans ce domaine. Personne ne mesure la profondeur des blessures racistes ou antisémites qui, dès le plus jeune âge, peuvent déstabiliser un individu pour le reste de sa vie. C’est donc dès le premier mot, dès le premier dérapage qu’il faut être là pour mener ce travail permanent d’éducation. Car ce premier geste peut être le premier d’une longue dérive qui conduit au pire.

 

Le travail d’apprentissage de la citoyenneté, d’éveil à l’universalité de nos valeurs, dans une société aussi fragmentée est un travail long, difficile, parfois ingrat. Il vaut pourtant la peine d’être mené ici et maintenant car, pour reprendre Camus, « la vraie générosité envers l’avenir consiste à donner au présent ».

 

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