Le débat a repris, à l’initiative du Premier ministre et du Président de la République, sur la question du port du voile islamique à l’université. Immédiatement, la passion, dans un camp, comme dans l’autre, alimente une fièvre dont chacun sait qu’elle est pourtant mauvaise conseillère. Les initiatives fleurissent de toutes parts, comme ces étudiants qui souhaitent lutter contre la stigmatisation des femmes portant le voile à la faveur d’un « Hijab Day » organisé aujourd’hui à Sciences Po Paris. L’extrême-droite, au passage, refait le plein de carburant tandis que le communautarisme prépare ses banderoles criant à l’islamophobie de la République. Sans compter la mode consistant à exhiber son appartenance à une identité et qui est devenue un véritable phénomène de société.
La laïcité est une question trop importante pour la laisser au monopole des extrémismes. Il faut savoir s’extraire du buzz créé par les hésitations politiques, les slogans éphémères et les instrumentalisations grossières pour revenir à la raison et regarder cette question avec lucidité.
D’aucuns soutiennent que l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires, réservée à l’école, au collège et au lycée, n’a pas été étendue à l’enseignement supérieur en raison du fait que les étudiants sont majeurs (1) , que la tradition des libertés universitaires empêchent toute initiative dans ce domaine (2) et enfin que la loi de 1905, comme l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, protègent la liberté d’expression et de conscience, nul ne pouvant « être inquiété pour ses opinions, même religieuses ».(3).
- Comme l’entonnait Brassens, « le temps ne fait rien à l’affaire », sauf à considérer que l’obligation de neutralité religieuse serait réservée aux moins de 18 ans. D’ailleurs, la loi Savary du 26 janvier 1984 dispose, sans condition de minorité civile, que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique » (Article 141-6 du Code de l’Education).
- Il serait assez renversant de convoquer nos ancestrales libertés universitaires pour justifier la prolifération religieuse. Les libertés universitaires, qui ont survécu à toutes les époques, à tous les régimes et à toutes les péripéties de notre Histoire, incarnent précisément l’inverse de ce qu’on est en train de leur faire dire. L’université, c’est l’affranchissement des dogmes et des tutelles politiques et religieuses pour permettre le libre exercice critique de la raison.
- Il faut avoir lu au moins une fois dans sa vie la loi de 1905 et nos textes fondateurs pour comprendre le détournement dont la laïcité est en passe d’être victime. L’article 1 de la loi de 1905 dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». Rien de plus, rien de moins. Sauf à vouloir faire dire aux mots autre chose que ce qu’ils signifient, la liberté de conscience est un droit individuel qui relève de l’opinion personnelle et de la croyance intime. Ce n’est pas, qui plus est au sein d’une université laïque, une exhibition publique, et politique, d’appartenance à une religion.
Résumer la question de la laïcité à la seule question du voile est réductrice et piégeuse. Ce serait céder à la facilité du stimuli provoqué par le signe religieux. C’est ce qu’attendent les partisans de l’islam politique comme les identitaires d’extrême-droite. L’enjeu est plus vaste que celui de la prohibition de ce morceau de tissu, aussi problématique soit-il. La vraie question est de savoir si nous sommes capables de ne plus céder une once de terrain supplémentaire à ceux qui, partisans d’une extension politique de la religion, exploitent le terreau du repli identitaire et testent nos valeurs et nos principes pour les affaiblir. Il ne s’agit pas de savoir ce qu’il faut interdire à l’université mais d’analyser pourquoi une partie de la population ressent le besoin d’affirmer publiquement son appartenance religieuse, en rupture totale avec la sécularisation entamée au XVIIIè siècle.
Les Lumières s’éteignent et leur témoignage d’universalité ne séduit plus. Si nous voulons construire une société ouverte, fraternelle, fondée sur l’idée de progrès et d’émancipation des individus par la connaissance, alors toutes ces questions appellent une réponse réfléchie et raisonnée, a contrario de la dictature de l’immédiateté que l’on tente de nous imposer. Fichue laïcité qui exige de nous autre chose que des réponses simplistes ! Il est vraiment temps de mettre un terme au Concours Lépine de la surenchère absurde qui rythme l’agenda politique et médiatique.
Il y a 10 ans j’ai « posté » sur Myspace une de mes chansons qui s’appelle : Chanson pour la laïcité jmj guillaume ….Elle y est encore….S’il vous plaît de l’entendre : bonne écoute !
janeen.guillaume@gmail.com