L’affaire Black M est l’histoire d’une double faute qui profite à tout sauf à la République.
Première faute : le mélange des genres. Verdun est un symbole. 300 jours, 300 000 morts, 700 000 victimes. On ne commémore pas Verdun sans se soucier du sens précis que l’on veut donner aux choses. Organiser un concert de rap pour un concert de rap, sans le relier à la mémoire de la Première Guerre Mondiale, était totalement inapproprié. Et le fait d’inviter un chanteur qui, durant des années, a invectivé la République, la France, la laïcité, les homosexuels, les femmes est évidemment une circonstance aggravante du malaise qui a pu naître de cette invitation. Vouloir rassembler la jeunesse autour d’un événement mémoriel partait d’une bonne intention, surtout en ce moment. Mais le registre purement festif cohabite mal avec une histoire aussi lourde. Car au fond, la seule question qui compte est simple : qu’auraient retenu du symbole de Verdun les jeunes qui se seraient rendus au concert de Black M ? En l’état, absolument rien.
Pourtant, l’idée de ce concert aurait pu être intéressante. Elle n’était pas, en soi, l’hérésie dénoncée par le Front National. On aurait pu en retenir le fait que Black M avait tourné la page de ses erreurs de jeunesse et qu’il avait décidé de mener enfin le combat pour la fraternité, lui, Alpha Diallo, petit-fils de tirailleur sénégalais qui s’est battu pour la France. Et l’idée de voir ce jeune homme s’inscrire dans un récit national commun aurait été un exemple pour son public. L’idée de le voir adhérer aux symboles de la République alors qu’il vouait aux gémonies, il y a encore seulement quelques années, ce pourquoi son grand-père s’est battu, aurait pu nous donner des raisons d’espérer et de croire que les valeurs universelles sont encore capables d’attirer et de vaincre les préjugés et la haine. Cet événement aurait pu devenir un moment de communion et de rassemblement autour d’une mémoire partagée et de valeurs universelles. Les jeunes venus l’écouter à Verdun auraient pu en repartir avec le sentiment d’avoir été, deux heures durant, des citoyens conscients et actifs. Mais rien n’a été fait pour y parvenir.
Deuxième faute : la capitulation devant l’extrême-droite. A qui profite l’annulation du concert de Black M si ce n’est au Front National et à ses succursales biterroises ? Dès l’origine, le coup a été préparé et monté en épingle pour faire de l’annulation de ce concert une victoire politique. Le silence de ceux qui avaient des raisons légitimes de critiquer de bonne foi la tenue d’un tel concert, totalement déconnecté des enjeux de mémoire, a offert un boulevard et une audience inespérés à l’extrême-droite. Dès lors, tout regard critique sur l’événement devenait suspect de connivence avec elle. Elle a d’ailleurs été aidée en cela par ceux qui ont immédiatement crié au péril fasciste après l’annulation de l’événement. Cette affaire est devenue par trop manichéenne et a simplifié à outrance le débat : d’un côté, désormais, les opposants au concert devenus des alliés objectifs du Front National et de l’autre les partisans de Black M supposés être les garants des vertus républicaines et de la liberté d’expression.
Plus aucune autre nuance n’est aujourd’hui audible et surtout, l’essentiel a été oublié. Ce que Verdun nous dit un siècle après est pourtant toujours aussi limpide : « le nationalisme, c’est la guerre », pour reprendre les mots célèbres de François Mitterrand à Berlin. Verdun a été le tombeau d’une Europe rongée par le repli des peuples qui des années durant avaient fermenté la haine du peuple d’en face. Mais de cela il n’a pas été question ces derniers jours et l’extrême-droite avait un intérêt particulier à occulter cette réalité.
Au final, dans l’affaire Black M, Verdun est devenu un Waterloo politique. La mémoire de la Première Guerre mondiale est passée à la trappe. La tenue de ce concert de Black M, à laquelle aucun sens mémoriel n’avait été donné, n’a pas été préparée comme elle aurait pu l’être. L’extrême-droite a encaissé les dividendes d’une opération de communication faite sur le dos de républicains sincères et silencieux qui trouvaient cette initiative au mieux incompréhensible, au pire déplacée. La haine raciale s’est déversée, sans retenue, sur Internet. Le Front National a obtenu une victoire symbolique. Les républicains, quant à eux, ont récolté une défaite qui, elle, ne l’est pas.