Le film « Ils sont partout » d’Yvan Attal visait à dénoncer l’antisémitisme latent de la société française. Le déversement de haine qui accompagne sa sortie fournit la cruelle démonstration que la thèse du film est vérifiée. Depuis plusieurs jours en effet, chaque apparition du cinéaste donne lieu à une poussée de haine sur les réseaux sociaux. Samedi soir, la tweetline de l’émission « On n’est pas couché » n’avait rien à envier aux colonnes infernales de Je suis partout, de La Gerbe ou de Gringoire.
Cet antisémitisme a plusieurs visages.
Il y a tout d’abord l’antisémitisme ordinaire, banalisé, presque tombé dans le langage courant, avec des expressions consternantes du type : « Ne fais pas ton sale juif ». C’est celui qui manie les clichés et les préjugés : le juif, essentialisé, est nécessairement riche ; les médias sont évidemment à sa botte ; il est nécessairement un agent d’intérêts étrangers, ceux d’Israël. A être ordinaire, il n’en est pas moins parfois criminel. La mort tragique d’Ilan Halimi et des enfants juifs de Toulouse nous le rappelle.
Il y a ensuite l’antisémitisme d’extrême-droite. Il a des racines profondes. Il est l’héritier des anti-dreyfusards, de l’antisémitisme de l’entre-deux-guerres, de Maurras, de Vichy et de ses épigones. La profanation des cimetières juifs est quasiment son monopole. Aujourd’hui, cet antisémitisme demeure le ciment des jeunesses identitaires et nationalistes qui, à être groupusculaires, n’en demeurent pas moins dangereuses lorsqu’elles passent à l’acte.
Il y a enfin « le nouvel antisémitisme » . Sa nouveauté ne tient pas à sa nature – toujours la même – mais à son succès, à son mode d’expression et à sa capacité de dissimulation. Cet antisémitisme là a ses pudeurs. D’aucuns le qualifient d’islamo-gauchisme mais il ne dit pas son nom : le complotisme, l’antisionisme ou le communautarisme lui servent de couverture. Il partage avec l’extrême-droite ses pulsions négationnistes. Les réseaux sociaux et internet ont dopé son audience, notamment auprès de la jeunesse. Il a fait de Merah, Kouachi, Coulibaly au pire des idoles, au mieux des victimes excusables. C’est sur ce terreau que les sergents-recruteurs de l’islam radical font prospérer leur business de la radicalisation.
Trois antisémitismes mais une seule haine, qui, à chaque fois, peut conduire à l’affrontement et à la mort. Trois antisémitismes mais un seul « lobby » – puisqu’ils affectionnent cette terminologie – qui, le temps de la promotion d’un film, est capable de n’afficher plus qu’une seule tête dans un pays qui semble anesthésié par le déni.
Le roi Mithridate VI s’injectait chaque jour un peu de poison pour s’immuniser et, le moment venu, échapper à un empoisonnement. On a le sentiment que la France, de la même manière, est devenue insensible au poison antisémite : la profanation du cimetière juif de Carpentras a fait descendre dans la rue un million de Français et même le premier d’entre-eux alors que la mort d’Ilan Halimi ou l’assassinat d’enfants juifs à Toulouse n’ont suscité qu’une vaste indifférence.