Emmanuel Macron, candidat à la présidence de la République, a déclaré lors de sa visite en Algérie que « la colonisation a été un crime contre l’Humanité ».
Ses propos ont suscité une vive émotion, allant des louanges les plus béates à la caricature la plus outrancière. Pourtant, beaucoup des commentateurs qui ont pris position sur cette question sont passés à côté du problème essentiel qu’elle soulève : le risque d’affaiblir et de banaliser la notion juridique de « crime contre l’humanité » qui renvoie, pour reprendre les mots d’André Frossard, au « mépris absolu de l’être qu’on tue pour la seule raison qu’il est venu au monde ».
Le crime contre l’Humanité est défini par la loi et par la jurisprudence. Il résulte de la transposition, dans notre code pénal, des engagements internationaux de la France pris dans l’article 6 du Titre 2 de l’Accord de Londres du 8 août 1945 créant le Tribunal de Nuremberg et dans l’article 7 du Statut de Rome instituant une Cour pénale internationale. Cette notion, qui occupe dans notre droit une place particulière, au sommet de la hiérarchie des crimes avec le génocide, ne doit être invoquée que d’une main tremblante et vouloir l’étendre et la généraliser à tout ce qui est criminel ou barbare reviendrait à la relativiser.
Quand on parle de ces sujets, il faut être précis et s’éloigner, un instant, des passions, du tumulte et des formules qu’on sert aux journalistes pour pouvoir les regarder avec recul et sagesse. Des crimes contre l’humanité ont été commis par les empires coloniaux. La loi française, d’ailleurs, reconnaît en tant que tels la traite négrière et l’esclavage. Pour autant, tous les crimes des puissances coloniales ne relèvent pas de cette qualification. Les actes de torture et de barbarie dont se sont rendus coupables les soldats français lors de la guerre d’Algérie constituent à l’évidence des crimes de guerre, pas des crimes contre l’humanité. Le général Aussaresses a d’ailleurs été condamné pour « apologie de crimes de guerre ».
La déclaration d’Emmanuel Macron vient opportunément flatter des identités blessées. Depuis la fin de la décolonisation, aucun homme d’Etat n’a su regarder en face ce passé colonial « qui ne passe pas ». La République n’a que trop tardé à donner à la Traite Négrière la place qu’elle méritait dans les programmes d’histoire et dans les commémorations nationales. Obtenir ne serait-ce qu’un musée de l’esclavage sur le sol métropolitain a exigé une mobilisation de plusieurs décennies. La République n’a toujours pas su trouver les mots pour soigner les blessures liées à la guerre d’Algérie, fermant les yeux trop longtemps sur la torture, les exactions, le racisme, sur ces Algériens noyés dans la Seine par la police de Papon le 17 octobre 1961 ou encore sur ces pacifistes étouffés à l’entrée du Métro Charonne le 8 février 1962. Tout comme la France, jusqu’à un passé très récent, a manqué d’honorer sa parole à l’égard des Harkis.
Il est évident que le déni dans lequel la France s’est enfermé, son obsession du « bilan globalement positif », ont généré des frustrations, des vexations, des douleurs, des plaies qui n’ont toujours pas cicatrisé. Il ne s’agit pas de sombrer dans une quelconque repentance ou flagellation qui renvoie d’ailleurs à une rhétorique religieuse qui n’a pas sa place ici. Il est urgent de combler cette injustice et de travailler enfin à une oeuvre de réconciliation, faute de quoi le premier aventurier qui passe ne manquera pas de tirer profit de cette colère.
En réduisant tous les crimes de la colonisation à un crime contre l’Humanité, Emmanuel Macron commet un faute juridique et historique. Mais il commet aussi une faute politique : celle d’offrir aux entreprises communautaristes victimaires du carburant pour les dix ans qui viennent. Ceux qui théorisent le « racisme d’Etat » qui serait l’héritage de notre impérialisme, ceux qui font commerce de la concurrence des mémoires, ceux qui aussi viennent expliquer que l’Islam politique serait une réaction identitaire à la domination coloniale doivent aujourd’hui jubiler. De toute cette affaire, l’application du droit en matière de crime contre l’humanité ne sort pas renforcée et la cohésion nationale n’y aura absolument rien gagné.