Si certains de nos responsables politiques voulaient faire gagner Marine Le Pen, ils ne s’y prendraient pas autrement. Jamais, depuis la Libération, une élection présidentielle ne s’est tenue dans tel un climat. L’extrême-droite a rarement été aussi proche du pouvoir et, sans la mobilisation de ceux qui veulent défendre les valeurs de la République, elle y parviendra.
Au-delà du fond, l’affaire Fillon génère un antiparlementarisme profus dont chacun sait qu’il profite aux extrémistes et aux populistes. Elle offre un boulevard à ceux qui, depuis toujours, rêvent d’en finir avec « La Gueuse » et de réduire au néant politique la représentation nationale. La justice dira si les faits reprochés au candidat de la Droite et du Centre méritent une sanction pénale. Mais les coups portés à la morale publique et à la sincérité de la parole des élus ont d’ores et déjà occasionné dans l’opinion des dégâts irréparables qui risquent fort de se mesurer dans les urnes.
La dérive populiste du débat public
Bien davantage que l’affaire Fillon elle-même, c’est la défense politique de l’intéressé qui fournit à Marine Le Pen des raisons « de s’y voir ». On peut comprendre l’acrimonie d’un homme qui, à la veille de sa rencontre avec le peuple français, risque fort de se trouver dans l’incapacité de réaliser le destin vers lequel il pensait être porté. Mais dans le climat actuel, renverser une table déjà bien fragile, crier haro sur la justice, dénoncer un complot, hurler à l’assassinat, opposer la légitimité du suffrage universel à celle des juges et appeler à manifester revient tout bonnement à vider le bébé avec l’eau du bain.
Tout cela ne produit rien de bon et conduit à remettre en cause notre Etat de droit, donnant une audience aux obsessions de ceux qui, comme Eric Zemmour parlent d’un Coup d’Etat des juges, et dénoncent l’acharnement « des gardes rouges de la Révolution judiciaire » contre des politiques tentant « d’échapper au fusil braqué sur eux ».
L’extrême-droite goguenarde
Marine Le Pen assiste goguenarde à la scène, désormais rejointe par une partie de la droite républicaine dans sa dénonciation du « système politico-médiatico-judiciaire ». Mais elle seule en tirera les bénéfices.
Dans son discours prononcé à Nantes le 26 février, elle a même franchi une nouvelle étape dans la menace : « Je veux dire aux fonctionnaires, à qui un personnel politique aux abois demande d’utiliser les pouvoirs d’Etat pour surveiller les opposants, organiser à leur encontre des persécutions, des coups tordus, ou des cabales d’Etat, de se garder de participer à de telles dérives. Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales. Ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L’Etat que nous voulons sera patriote. ». Ceux qui auront échappé à la purge seront-ils invités à prêter serment, histoire de vérifier leur niveau de « patriotisme » ?
50 jours pour inverser la tendance
A 50 jours de l’élection présidentielle, le spectre des années 30 hante notre vie politique. Il suffit de reprendre la presse d’entre-deux-guerres pour comprendre que la comparaison avec notre époque n’est hélas pas fantaisiste.
L’anti-parlementarisme et le « tous pourris » ont trouvé une seconde jeunesse tandis que les fondements de notre Etat de droit – les fonctionnaires, les magistrats, la police – servent de défouloir électoral. A cela s’ajoute la désignation des boucs-émissaires habituels – les étrangers, les réfugiés, les juifs, les noirs, les musulmans – à la faveur d’une libération de la parole raciste et antisémite conduisant à un regain de violences et d’affrontements. Les idées et les thèses de l’extrême-droite progressent et avec elles, le rejet de l’autre. La fraternité, elle, recule.
Il reste 50 jours aux candidats à l’élection présidentielle pour prendre conscience de la gravité de la situation et mesurer la responsabilité historique qui est la leur afin d’éviter de voir sombrer notre héritage républicain. Nous ne sommes plus dans une élection traditionnelle comme on a pu en connaitre par le passé : c’est bien l’essentiel qui est en jeu les 23 avril et 7 mai prochains.
ll reste 50 jours aux électeurs attachés à notre Histoire pour se mobiliser, sortir de l’abstention ou de la tentation extrémiste et refuser le fatalisme qui voudrait que Marine Le Pen se retrouve inéluctablement au soir du premier tour en tête, et, de ce fait, en ballotage favorable pour le second. Une fois de plus, c’est notre capacité à résister qui est mise à l’épreuve. Une fois de plus, la République nous appelle.
Ce sont les seuls moyens à notre disposition pour éviter le pire.