Avec Marine Le Pen, le diable est dans les détails

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Le programme du Front National pour les élections présidentielles propose de « renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’Etat qui divisent. » Interrogée sur cette question, et notamment sur le discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 sur la responsabilité de Vichy dans la Déportation des Juifs, Marine Le Pen a déclaré le 9 avril : « Je pense que la France n’est pas responsable du Vel’ d’Hiv. Je pense que, de manière générale (…) s’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas la France. La France a été malmenée dans les esprits depuis des années. En réalité on a appris à nos enfants qu’ils avaient toutes les raisons de la critiquer. De n’en voir que peut-être que les aspects historiques les plus sombres. Je veux qu’ils soient à nouveau fiers d’être Français. »

Le discours de Marine Le Pen a une apparence : celle qui consiste à s’abriter sous l’ombre tutélaire du général de Gaulle qui, on le sait, a toujours défendu l’idée que la France, entre 1940 et 1944, était à Londres et pas ailleurs. Ainsi, tous les crimes commis durant cette période sur notre territoire seraient de la responsabilité des Nazis et de Collaborateurs ayant usurpé l’autorité de l’Etat. C’est au nom de l’unité nationale que le gaullisme a postulé l’idée d’une absolution générale fondée sur une fiction : le régime de Vichy n’était pas la France et par conséquent le déshonneur qui le frappe ne la concernerait pas. C’est fidèle à cette doctrine que Georges Pompidou décida de gracier Paul Touvier pour éviter de rouvrir les plaies du « temps où les Français de ne s’aimaient pas ».

En apparence donc, Marine Le Pen semble seulement renouer avec la doxa qui a prévalu en France jusqu’au discours de Jacques Chirac en 1995. Les deux caryatides du temple de la pensée Bleu Marine, Florian Philippot et Robert Ménard, n’en finissent pas depuis ce matin d’invoquer le Chef de la France Libre pour défendre les propos de leur patronne : le premier rappelant l’ordonnance de 1944 déclarant Vichy illégal, nul et non avenu ; le second expliquant que personne n’oserait prêter au Général, et encore moins à François Mitterrand, son fidèle continuateur en la matière, des pensées révisionnistes. A écouter le Front National depuis quelques heures, accabler Marine Le Pen, ce serait s’attaquer à l’Homme du 18 juin. Encore une semaine et les experts en travestissements qui peuplent le siège du parti lepéniste nous expliqueront que le Général aurait voté pour elle.

Dans la réalité, Marine Le Pen a convoqué les fantômes du Vélodrome pour une autre raison, sans doute aussi importante que le « ripolinage » gaulliste auquel elle s’est ouvertement adonné. Elle a voulu faire disparaître les traces de son ADN. En effaçant le Vel d’Hiv de l’Histoire de France, elle tente de faire oublier que le parti qu’elle dirige est l’héritier politique de cette France « Collabo » qui prit les armes contre la République et contre les Lumières avant de prendre l’uniforme de la SS ou celui de la Milice. Elle s’essaie à liquider, en douce et sans le condamner, le Panthéon sinistre de cette Anti-France dont les spectres hantent encore les couloirs des palaces de Vichy, les allées de la gare de Montoire et les antichambres du château de Sigmaringen. On comprend la gêne de la candidate frontiste à l’évocation des responsables français de la rafle du 16 juillet 1942 : parmi eux se trouvaient 300 activistes du Parti Populaire Français dont le numéro deux, Victor Barthélémy, co-fondera le FN avec Jean-Marie Le Pen en 1972.

L’objectif de cette dissimulation ne tient pas seulement à la quête de respectabilité qu’on prête au FN. Par ses propos, Marine Le Pen a clairement voulu s’adresser à cette France réactionnaire que l’évocation de la mémoire de la Shoah insupporte et qui confond vérité et « repentance ».

Au final, Marine Le Pen exalte la fierté d’être français et le roman national contre cette prétendue repentance mémorielle. Il faudra alors qu’elle nous explique quelle fierté il y aurait à nier la responsabilité de ceux qui ont participé à l’arrestation et la déportation des 75 721 juifs de France, dont 11 426 enfants. Il faudra qu’elle nous explique à quoi sert un roman si ce n’est à esquiver la réalité historique. Il faudra qu’elle nous explique qui, en dehors des héritiers de Pétain, de Laval, de Doriot et d’Henriot, aurait à craindre que soit formulé publiquement l’acte d’accusation de leur traitrise et de leurs crimes. Le 23 avril, dans l’isoloir, pensez-y avant de voter !

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