20 mai 1987 : Le temps des témoignages est venu

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Finis les bons mots et les effets de manche, oubliés les querelles de procédure et les faux-semblants.

Place à la Vérité, dans ce qu’elle a de plus sobre et de plus beau.

La Cour commence à évoquer la rafle effectuée par la gestapo le 11 février 1943 au siège lyonnais de l’Union Générale des Israélites de France (UGIF), rue Sainte Catherine, juste derrière la place des Terreaux.  

Le temps des témoignages est venu.

Léa Katz entre dans le prétoire. Alors âgée de 17 ans à peine, elle a entendu des fonctionnaires vichystes planifier un contrôle au 13 quai Tilstitt, dans les locaux de la Grande Synagogue de Lyon. Elle s’empresse d’en prévenir un rabbin qui se trouvait à ce moment là à l’UGIF. En arrivant sur les lieux en cette matinée du 11 février 1943, elle ignore qu’elle se jette dans la gueule du loup. Les locaux ont été investis par la gestapo et la rue Sainte Catherine s’est transformée en souricière. A peine entrée, on lui demande ses papiers. Sa carte porte le tampon « juif ». Elle est jetée dans une pièce où se trouvent déjà plusieurs dizaines de personnes. Des juifs démunis et perdus, venus là pour trouver un réconfort, une aide morale ou matérielle, un peu de chaleur.

 

Léa Katz raconte. Les yeux mi-clos, emplissant la salle d’audience de son angoisse. Le temps est suspendu à ses mots, à ses silences. Sous sa dictée, on la voit se transformer en gamine rousse de 17 ans, pétrifiée à l’idée de ne plus revoir sa mère et faisant preuve d’une audace qui ne peut trouver sa force que dans un ultime instinct de survie. Elle s’adresse à un soldat pour lui dire que sa mère est malade, qu’elle veut la prévenir et qu’elle reviendra. Sommée de parler en allemand, elle s’exécute. Elle reçoit deux gifles en retour avec ce commentaire dont elle se souvient comme si c’était hier : « petite chose insignifiante, tu as dit que tu ne parlais pas allemand, mais pour supplier, tu sais le faire ». Tout se joue en une poignée de secondes, un regard du soldat, une porte entrouverte, un instant d’humanité. La vie tient à si peu de chose. Léa est libre. Nous sommes soulagés, comme si sa présence ici, 44 ans plus tard, ne nous suffisait pas à croire cette heureuse nouvelle.

 

Léa Katz est entrée dans la clandestinité. Elle ne veut pas finir son témoignage sans remercier les familles françaises qui ont risqué leur vie pour la cacher. Un ange passe. Léa Katz s’éloigne. Elle a témoigné.

 

Michel Cojo Goldberg lui succède à la barre. Il avait 4 ans quand son père a été arrêté rue Sainte Catherine. Michel Cojo Goldberg aurait pu être un enfant d’Izieu. Comme eux, il ne savait pas qu’il était juif et même ce que c’était d’être juif. Simplement coupable d’être né. Son père n’est pas revenu. « Il est mort d’une façon abstraite, escamotée. Nous n’avons jamais eu ni corps ni cérémonie funéraire, ni tombe pour se recueillir. Nous avons été privés de deuil et quand on ne prend pas le deuil, on ne le quitte jamais. » Il sait depuis toujours que c’est Klaus Barbie qui a fait de lui un orphelin. Apprenant en 1974 qu’il s’était réfugié en Bolivie, il décide de le tuer. Il raconte : « Je n’avais pas l’illusion d’avoir un mandat du peuple juif ou français. Je n’avais ni mission, ni obligation. C’était une affaire personnelle. »

 

 

Le plus fou est qu’il se rend effectivement à La Paz où il parvient à rencontrer Barbie. Il lui parle longuement, se faisant passer pour un journaliste, un révolver dans la poche. Il explique à la Cour les raisons pour lesquelles il ne l’a pas tué : « je n’ai pas ressenti cette bouffée de haine qu’il fallait pour tirer. Je me suis dit que je devais le faire de sang froid. J’imagine que lui et moi sommes d’une race différente. Je ne l’ai pas fait. Il méritait la mort, moi pas de devenir assassin. »

 

Témoin suivant, Eva Gottlieb est, elle aussi, tombée dans la souricière en venant rejoindre sa mère à l’UGIF le 11 février 1943. Elle doit la vie à Beethoven. Elle prétend en effet être venue apporter une partition de musique à une dame. Un soldat regarde les notes, les lit et se met à chantonner. La dame confirme les dires de la jeune fille, se gardant de révéler le lien de parenté. Eva est repartie, transie de peur et de douleur. Sa mère aussi est partie, mais là d’où l’on ne revient pas.

 

La journée s’achève avec le témoignage d’Henri Bullawko, président de l’Amicale des Déportés Juifs de France qui évoque le souvenir de son ami Henri Rosenweig, parti de la rue Sainte Catherine à Auschwitz. Lui aussi y a été déporté. Il est le premier à parler en détail de l’arrivée au camp, de la descente du train, des hurlements, des coups, de la sélection, de la terreur des femmes, des cris des enfants, de la fumée noire striée de flammes rouges du crématoire de Birkenau. La Cour est transportée 45 ans en arrière. La voix d’Henri Bullawko nous conduit à Auschwitz. Il raconte plus qu’il ne témoigne. J’aurais tant aimé que Faurisson entende ce témoignage…

 

L’émotion est entrée dans la Cour d’Assises. Elle y restera pendant de longues semaines…

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