21 mai 1987 : « Tu es jeune, tu vivras. Allez, va et raconte. »

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Le premier témoin est Victor Sullaper. Il travaillait à l’époque des faits à l’UGIF avec son frère, pour aider les familles démunies. Il était dans les lieux quand la gestapo est arrivée. Toutes les personnes qui entraient étaient aussitôt happées. La standardiste avait reçu instruction de dire à ceux qui appelaient de venir au siège. C’est ainsi que fonctionne une souricière. Victor Sullaper a été sauvé grâce à une fausse carte d’identité au nom de François-Victor Sordier. Pas son frère, qui était arrivé en France plus tard et avait gardé son accent et sa vraie identité. Dès qu’il a pu sortir, Victor Sullaper, a envoyé un télégramme à la Fédération des Sociétés Juives de France : « Monsieur Schorban est arrivé à l’UGIF de Lyon, prévenez qui de droit. » Schorban signifie malheur en hébreu… Puis il est rentré au domicile familial et a annoncé à ses parents que son frère ne reviendrait pas. « Nous avons dit la prière des morts. » Victor Sullaper s’interrompt, étouffé par les sanglots.

L’émotion étreint la salle d’audience. On lui propose une chaise qu’il refuse. Il tient à témoigner debout.

 

Après ce moment de vérité vient celui de la confusion. Michel Thomas est le seul rescapé de la rafle de la rue Sainte Catherine à affirmer reconnaître Barbie comme celui qui dirigeait les opérations le 11 février 1943. Il prétend être venu ce jour-là recruter à l’UGIF des jeunes pour la résistance. Mais son témoignage théâtral sonne faux. A la différence de tous les autres témoins, précis et sobres, Michel Thomas en fait trop. Ce qui ne veut pas dire qu’il ment. Mais le trouble s’empare de l’assistance. Jacques Vergès pavoise.

 

La sérénité revient après la suspension d’audience, avec l’arrivée à la Barre d’une dame merveilleuse, qui s’avance, droite et digne, refusant elle aussi la chaise qui lui est proposée. Gilberte Jacob travaillait à l’UGIF. Elle dit en quelques mots comment la vie était dure à cette époque pour une juive comme elle, sans logement, « condamnée à changer d’hôtel tous les deux jours parce que passé ce temps, on ne voulait plus d’elle. » Gilberte Jacob raconte la rafle, les deux journées passées au Fort Montluc « sans rien, dans deux pièces, sans paillasse, sans nourriture, ni même la moindre goutte d’eau », puis le départ pour Drancy. Gilberte Jacob nous conduit à Drancy. « Les punaises qui dégringolaient dans la soupe, les hommes qu’on faisait ramper comme des vers sur le mâchefer de la cour, la tonte des femmes et des enfants. » Après trois semaines, elle est envoyée au camp de Beaume la Rolande avant d’être réexpédiée à Drancy. Le 24 mars 1943, tous les raflés de l’UGIF sont embarqués dans les wagons pour Auschwitz. Pas elle, femme d’officier français, elle échappe à la déportation. Gilberte Jacob s’arrête. Plus un mot ne sort de sa bouche. Elle pleure. Tout au long de sa déposition, elle ne pleurera qu’à l’évocation des souffrances endurées par les autres. Et pourtant. Après avoir appris la mort de son père et ses deux sœurs, elle sera à son tour déportée à Bergen Belsen. « Il n’y avait pas de chambres à gaz à Bergen Belsen, mais les fours crématoires ont fonctionné si forts qu’aujourd’hui, je ne peux plus sentir l’odeur d’un poulet grillé. J’ai cet odeur dans le nez jusqu’à la fin de ma vie. »

On comprend que Klaus Barbie ait préféré ne pas entendre Gilberte Jacob. C’est lui qui l’a envoyée là-bas.

 

Elie Nahmias est le dernier témoin de cette journée éprouvante. Il a été arrêté par Klaus Barbie rue Victor Hugo à Lyon. Elie Nahmias raconte les tortures, ceux qui sautent par la fenêtre pour y échapper. Montluc, Drancy, Auschwitz. « Les enfants sont allés directement à la chambre à gaz. Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à une chasse aux phoques. C’est ça, çà courrait tous les sens et les kapos nous assommaient à la matraque. Ils nous ont fait mettre par cinq, une commission nous séparait, à droite ou à gauche, un sur dix allait à gauche. J’ai eu de la chance, à droite c’était pour le four. J’étais jeune et costaud, immatriculé, tondu, les poils rasés, on m’a tatoué. A certains, ils enfonçaient le fly-tox à moitié dans l’anus. » Elie Nahmias est passé de camp en camp. Il a survécu en se cachant sous un amoncellement de cadavres. Le Président Cerdini lui pose une question comme une délivrance, pour abréger l’horreur, mais Elie Nahmias poursuit « les chambres à gaz, c’était une usine, plus de 2.000 personnes dans la journée. La nuit on voyait fumer les cheminées du four. Les kapos disaient « voyez c’est par là que vous sortirez ». Les gens dans les camps allaient se faire tirer dessus en franchissant la ligne interdite, ils s’accrochaient dans les barbelés, on les voyait au matin, comme des feuilles d’automne… Barbie je ne l’oublierai jamais, même quand je serai mort. »

Un jour Elie Nahmias est tombé. Il n’en pouvait plus. Un vieil homme l’a sauvé et lui a dit : « tu es jeune, tu vivras. Allez, va et raconte. » Le jour est venu.

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