10 juin 1987 : Marie-Claude Vaillant-Couturier

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Le Président Cerdini a apparemment tenu compte de la mise en garde du Procureur Général Truche. L’audition des témoins « d’intérêt général » ne devrait plus dériver comme elle parut parfois le faire la veille. Les témoins du jour sont invités à faire porter leur déposition sur la déportation, les méthodes d’interrogatoire de la gestapo, l’organisation des convois et la très importante question de la connaissance de la solution finale par les exécutants du nazisme.

 

Se présente devant nous une vieille dame au beau visage, au chignon blanc et au regard bleu azur dont chaque mouvement n’est qu’élégance. Marie-Claude Vaillant-Couturier a été arrêtée par la gestapo pour son activité dans un réseau de résistance communiste, puis déportée à Auschwitz. Elle a déjà témoigné en 1946 devant les Juges internationaux du procès de Nuremberg. Comme toutes les grandes dames qui l’ont précédée à la barre, elle rapporte les horreurs et la déshumanisation de la déportation, sans jamais évoquer ses propres souffrances. Solidaire de ses camarades, elle évoque le souvenir des 230 résistantes françaises qui ont pénétré avec elle le 27 janvier 1943 à Birkenau. « Au 73ème jour, elles n’étaient plus que 70. Les autres avaient succombé au froid, aux coups, à la faim, aux chiens, aux poux, aux appels, aux conditions de travail et au typhus, à la dysenterie et quand tout cela ne suffisait pas, aux piqures de poison et à la chambre à gaz. »

Faut-il que cette femme ait souffert pour pouvoir, plus de quarante après les faits, évoquer sans la moindre larme « ce sol jonché de cadavres après les appels, la danse macabre de ces femmes squelettiques sortant du revier (infirmerie) en rang par cinq pour gagner la chambre à gaz. Avec ce supplément d’horreur d’être nues pour aller à la mort. » Marie-Claude Vaillant-Couturier évoque l’arrivée au cours de l’été 1944 de convois de juifs de Hongrie qui dura plusieurs semaines. « Seuls les adultes de 18 à 45 ans étaient mis de côté. Les mères et les enfants, les vieillards n’étaient même pas comptés. On voyait de grandes flammes sortir des cheminées. « Ces grandes flammes c’était eux… une nuit, nous avons entendu des cris atroces et le lendemain, nous avons su qu’on avait lancé des enfants vivants dans des cuves enflammées. »

Comme pour tenter de nous donner encore la volonté de croire en l’homme, Marie-Claude Vaillant-Couturier nous parle de ce médecin SS « qui était un honnête homme et qui tenta de soigner les malades. Il refusa de les tuer et fut envoyer sur le front de l’est. Ce qui prouve que les SS pouvaient refuser les ordres. »

 

Dora Schaul, qui était allemande, a fui son pays pour combattre le nazisme et s’est engagée en 1942 à Lyon dans la résistance. Elle parvint à se faire embaucher par l’occupant afin de recueillir des informations. Cela méritait aussi d’être rappelé.

 

Lazare Pitkowicz n’avait que 14 ans lorsque la police allemande a arrêté devant lui, en mai 1942, son frère et sa sœur qui furent déportés. Quelques mois plus tard, ce fut au tour de ses parents d’être arrêtés au cours de la rafle du Vel d’Hiv, dont il parvint à s’échapper. L’homme qui se trouve aujourd’hui devant nous, seulement âgé de 59 ans, fut le plus jeune compagnon de la libération. Livré à lui-même après la disparition de sa famille, il n’est encore qu’un adolescent lorsqu’il devient agent de liaison pour un groupe des Mouvements Unis de la Résistance. Arrêté à Lyon, Klaus Barbie enseigna avec lui à ses subordonnés comment interroger un enfant…

 

Pierre Durand a prononcé le serment des survivants des camps de ne pas oublier et de témoigner : « Ce n’était pas un serment de vengeance mais de justice. Quand le camp a été libéré, nous avons fait 220 prisonniers, des SS, que nous avons enfermés, gardés et remis intacts à l’armée américaine. Les soldats américains étaient remplis d’admiration devant la haute conscience de ceux que les SS avaient martyrisés. Nous sommes aujourd’hui peu de survivants ; nos voix s’affaiblissent. Il était bon de les faire entendre encore pour montrer à ceux qui, dans vingt ans ou cinquante ans, verront l’enregistrement de ce procès, que nous avons tenu notre serment. »

 

Après le témoignage de Robert Lançon, venu parler des exactions commises par Klaus Barbie à Saint Claude dans le Jura le 9 avril 1944, la Cour entend Yves Jouffa, président de la Ligue des Droits de l’Homme, mais c’est en sa qualité d’interné à Drancy qu’il s’adresse à la Cour. Il rappelle que le camp de Drancy a été ouvert le 20 août 1942 en représaille d’une manifestation étudiante qui avait eu lieu à Paris, Place de la Bastille, le 14 juillet précédent. C’était alors un ensemble d’HLM avec des trous béants. « Il y avait en tout et pour tout vingt robinets d’eau. Nous n’avions pour tout récipient que des boîtes de conserves vides rouillées, laissées là par des soldats anglais. La situation sanitaire s’est révélée très vite effrayante, on y mourrait déjà de mort physiologique. Après juillet 1942, sont arrivés les juifs de la rafle du Vel d’Hiv et le spectacle effroyable des femmes et des enfants séparés à coups de baïonnettes. Commença alors le rythme infernal des départs pour l’Allemagne, à raison de trois par semaine. » Pour répondre à la question de la connaissance, Yves Jouffa affirme « à partir du moment où de tels convois furent constitués, il n’était plus possible d’ignorer le destin final, dès lors que l’on faisait partir des êtres dans un état physique tel qu’il ne pouvait être question pour eux de travail. Au demeurant, certains convois ne comprenaient que des enfants seuls. »

 

Ce témoignage sur Drancy, où sont entre autres passés les enfants d’Izieu, est tout à fait essentiel. Yves Jouffa termine d’ailleurs son propos en s’étonnant que l’on parle si peu de ce qui se passait à quinze kilomètres de Paris seulement, où a transité un juif français sur trois.

Si la France a été le pays qui a le plus collaboré avec l’occupant, c’est également celui où le plus de juifs ont été sauvés. Il n’en demeure pas moins que 50 % de la population juive française a été déportée.

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