Samedi 4 juillet 1987, 00h10. La journée a commencé hier matin à 9h30. Elle sera longue, très longue. La foule est immense à l’extérieur du Palais de Justice. La salle est évidemment comble. Les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle sont venus des quatre coins de la planète. Chacun a repris sa place.
L’attente est aussi étouffante que la chaleur. La Cour est de retour, avec son verdict. Chacun scrute le regard des jurés pour tenter d’y trouver un indice, mais leur visage demeure impavide. On fait une dernière fois entrer l’accusé. Klaus Barbie est debout face à nous. Le silence est total, absolu.
Le Président Cerdini s’adresse à lui : « A toutes les questions portant sur la culpabilité et les circonstances aggravantes, il a été répondu « oui » à la majorité d’au moins 8 voix. A la question 341, portant sur les circonstances atténuantes, il a été répondu « non » à la majorité d’au moins 8 voix. »
Réclusion criminelle à perpétuité.
Jacques Vergès est figé. Klaus Barbie ne laisse apparaître aucune émotion. Tout au plus, saisit-on le sourire crispé qu’il lance à sa fille, présente dans la salle. Point de congratulation ni de triomphalisme du côté des parties civiles. Seul un immense sentiment de soulagement, de mission accomplie et de justice rendue.
Allant chercher de l’air sur les marches du Palais, je suis assailli par les micros et les caméras et d’un nombre considérable de journalistes. Leurs flashs m’éblouissent. J’ai le souvenir d’avoir parlé les yeux fermés, comme l’avait fait tant de témoins au cours du procès. A la question qui m’est posée, je réponds sans hésitation : « C’est aux enfants d’Izieu que je pense à l’instant présent. Le verdict de la Cour d’assises leur tient lieu de sépulture. »
Ce verdict est également un « sésame » pour juger Bousquet, Legay, Touvier, Papon, dont les dossiers sont alors en cours d’instruction. Après avoir jugé le nazi, il devient enfin possible et même indispensable de juger le milicien et les collaborateurs d’Etat. La suite me donnera raison. A quelques mètres de moi, Jacques Vergès, qui a refusé de quitter le Palais de Justice par une porte dérobée, provoque une dernière fois la foule qui lui est hostile. Sa sécurité lui impose de battre en retraite. La foule est toujours stupide. Un avocat ne doit jamais être identifié à son client, même lorsqu’il fait tout pour…
Sur le quai, j’aperçois les jurés qui rentrent chez eux, citoyens ordinaires par qui la force de la loi a triomphé de la loi de la force. Sur la place des Terreaux, le mémorial a été démonté. Demeurent les centaines de pages du livre d’or sur lequel les visiteurs ont notamment écrit : « On ne devrait pas sortir d’ici avec les mêmes yeux qu’avant ». « Pitié, dites-moi que la mémoire sert à quelque chose. Au fond de moi, je suis persuadé que cela reviendra un jour d’inattention. Au secours ! ». « L’oubli est une forme de complicité. L’oubli c’est d’être des parjures ».
Rentrant chez moi à une heure avancée de la nuit, je pense à cette phrase d’Hemingway gravée sur le monument d’Izieu : « Tout homme est un morceau du continent. Une part du tout. La mort d’un homme me diminue parce que je fais partie du genre humain. »