La tentation de Munich

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Depuis son arrivée à la tête du Front National, Marine Le Pen fait oeuvre de banalisation. C’est même devenu une banalité de le dire. La mise en scène médiatique des épisodes de sa querelle familiale est censée achever de convaincre l’opinion que « le FN de Papa » est mort et que celui de Marine Le Pen ne serait plus d’extrême-droite. Les médias eux-mêmes ont entamé un inquiétant travail d’euphémisation et de relativisme, ayant mis au rancart, à force d’intimidation de Marine Le Pen elle-même, la terminologie d’extrême droite, lui préférant les appellations  « populistes », « national », « souverainiste », ou « patriote ». L’animatrice Maïtena Biraben, sur Canal Plus, a même cédé au piège de cette banalisation, prêtant au Front National « un discours de vérité ».

Et les derniers résultats électoraux semblent démontrer que cette stratégie fonctionne à plein régime, à telle enseigne que le Front National a battu son record de voix – 6,8 millions – lors des dernières élections régionales les 6 et 13 décembre dernier, surclassant de 2 millions de voix le résultat obtenu par Jean-Marie Le Pen le 21 avril 2002.

Face à cette situation inédite, que pouvons-nous ?

A un peu plus d’un an des prochaines échéances électorales, un constat s’impose : un état d’esprit munichois semble avoir gagné dans notre pays une grande partie de la classe politique dite « républicaine ». Combien de fois avons nous entendu, dans la bouche de tel ou tel élu, cet aveu effrayant : « La diabolisation du Front National, ça ne marche plus. On a trop crié au loup et aujourd’hui, nous sommes inaudibles » ? Pire encore, dénoncer le Front National pour ce qu’il est, ce serait insulter des millions de citoyens – et accessoirement d’électeurs – et jeter sur eux le discrédit d’un Parti pour lequel ils ont pourtant voté.

Chaque grande formation politique semble s’être ainsi résignée à l’idée que le premier tour de l’élection présidentielle sera celui de la mort subite pour LR ou le PS, et que le second tour se jouera, quoi qu’il advienne, avec le Front National.

Ce fatalisme n’est pas uniquement le fruit des enquêtes d’opinion qui, invariablement, lancinent cette tentation du pire. Il est en réalité le fruit d’une profonde défaite de la pensée, voyant nos décideurs politiques abdiquer, par un glissement irrésistible, leur volonté de combattre l’extrême-droite en cessant de la nommer pour ce qu’elle est, invariablement : raciste, antisémite, négationniste, identitaire, réactionnaire. Et le vernis populiste et patriote avec lequel d’aucuns voudraient la ripoliner ne doit pas suffire à faire oublier qu’elle porte en son sein, intrinsèquement, la haine de la République, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

Les élus de la Nation qui défendent l’idéal républicain doivent aujourd’hui sortir de cette léthargie qui, si elle devait perdurer, nous prépare un avenir douloureux. En dépit des entreprises de dédiabolisation, le Front National d’aujourd’hui n’a jamais renié le Front National d’hier, celui des origines, celui des nostalgiques de Vichy et des jeux de mots nauséeux sur la Shoah ou sur le droit à l’avortement, celui des survivants de l’Algérie coloniale, celui d’un homme, Jean-Marie Le Pen, multirécidiviste de l’incitation à la haine raciale, de l’apologie du pire et de la banalisation de l’horrible.

Etre attaché aux valeurs de la République, c’est aussi éviter toute forme de syncrétisme avec les idées du Front National. Ce n’est pas en s’injectant chaque jour un peu du poison frontiste qu’on parviendra à s’en défaire et les dérapages de plus en plus nombreux, de plus en plus dangereux, attisés par un climat délétère et des chroniqueurs pyromanes, portent une responsabilité très lourde dans le sentiment de normalisation de l’extrême-droite.

Face à la tentation d’un Munich électoral, nos représentants, attachés aux valeurs de la R?publique, ont l’obligation de surseoir à l’accessoire pour revenir à l’essentiel : combattre, comme notre pays l’a toujours fait, les ennemis de la République, sans honte et sans faiblesse. Il nous faut renouer avec cette philosophie du courage qui nous permettra, comme l’avait si bien écrit Jaurès, de « ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe ».

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