5 juin 1987 : « Là où je t’enverrai, ça sera pire que la mort »

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5 juin 1987. Dernière journée d’une bien longue semaine. J’arrive en retard à l’audience. J’ai en effet passé la matinée à Montpellier où j’ai été invité par le Maire, Georges Frèche, à venir expliquer le procès Barbie à tous les collégiens et lycéens de la ville, réunis au Zénith de la ville. Quelle épreuve ! Comment expliquer l’inexplicable à des milliers d’enfants qui n’ont pas été préparés à cette épreuve. L’initiative de Georges Frèche partait d’un bon sentiment. Je sais cependant depuis ce jour que pour pouvoir être audible, les témoins peuvent être précédés par le travail des enseignants. La transmission de la mémoire ne peut passer que par l’éducation.

 Cette journée du 5 juin 1987 est marquée par le retour de Klaus Barbie dans son box, à la demande du Président, pour y être confronté aux témoins du convoi du 11 août 1944.

 

Julie Franceschini a été arrêtée le 29 février 1944 et torturée par Klaus Barbie. Elle est restée cinq mois à Montluc. Elle raconte l’histoire bouleversante d’un enfant qui était enfermé avec elle. « C’était la veille de Pâques, on avait distribué deux œufs et on m’avait ordonné de ne pas en donner à ce sale enfant juif. Je lui ai donné le premier œuf puis le deuxième. Il avait dix ans. Il m’a dit, alors tu aimes les juifs ? A la bacchanale de la nuit, ils ont tué cet enfant devant ma cellule. » La voix de Julie Franceschini n’est plus qu’un cri.  Depuis la chaise roulante où elle a été amenée devant la Cour elle reconnaît le bourreau : « oui, c’est lui. Des yeux pareils on ne peut oublier ce regard. Même abasourdie de coups, je voyais ses yeux cruels. »

 

Klaus Barbie est à présent confronté à André Courvoisier. Résistant, Barbie lui a dit « là où je t’enverrai, ça sera pire que la mort ». Cela s’est confirmé. Dans les camps, André Courvoisier était porteur de cadavres… Il reconnait lui aussi Barbie à son sourire narquois « c’était un chacal ».

 

Barbie n’a rien à dire. Interrogé par le Président Cerdini, il répond invariablement : « ich habe nicht  zu sagen » (je n’ai rien à dire). Le Procureur Général Truche se lève. Avec talent et pédagogie, il tente de percer la muraille du silence. Et surtout de comprendre. Dans un silence recueilli, Pierre Truche brûle ses dernières cartouches : « Peut-être un de vos petits-enfants ira-t-il à la recherche de son passé. Peut-être se demandera-t-il : n’avait-il vraiment rien à dire ? Pour la dernière fois, acceptez de parler, que s’est-il passé pour qu’un jeune homme sensible à la misère humaine soit devenu ce que nous savons ? » Klaus Barbie parle en allemand. On croit qu’il répond. Jusqu’à la traduction : « J’attends ce qui va se passer en Bolivie. Je suis détenu illégalement en France, juridiquement absent, je suis victime d’un enlèvement. » Le Procureur Général se rassoit avec ces mots : « Je vous plains de continuer à vivre une fiction en sachant que c’en est une ».

 

Fin de l’audience. Fin de la semaine. Nous sommes épuisés.

 En raison du lundi de Pentecôte les audiences ne reprendront que le mardi 9 juin (1987). 

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