Antisémitisme : faire face au déni

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Après la Seconde Guerre mondiale, Hitler ayant « déshonoré l’antisémitisme » pour reprendre le mot terrible de Bernanos, la haine des Juifs a reculé dans notre pays. Surtout, le gaullisme ayant postulé qu’il fallait tourner la page de ce temps « où les Français ne s’aimaient pas », ces questions ont été écrasées par un tabou puissant qui a fait taire les victimes en même temps qu’il a renvoyé les antisémites dans leur cage. Evidemment, la haine des Juifs existait toujours mais n’était visible qu’à travers les clichés persistants inscrits dans la conscience collective.

Les choses ont changé dans les années 70 avec la libération de la mémoire de la Shoah, la poursuite des criminels nazis mais aussi le développement du négationnisme, l’exacerbation des tensions au Moyen-Orient et le retour de l’extrême-droite.

A partir du début des années 80, la France a redécouvert ce qu’était l’antisémitisme et surtout le fait qu’il pouvait tuer, comme il le fit lors de l’attentat de la rue Copernic en 1980 et celui de la rue des Rosiers en 1982. Notre pays a vu aussi les formes particulièrement indignes qu’il pouvait prendre lors de la profanation du cimetière de Carpentras en 1990. 

Deux événements ont marqué un tournant dans l’antisémitisme en France : la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006 et l’attentat de Mohamed Merah à l’école juive de Toulouse en 2012 ayant conduit à la mort, après celle de militaires quelques jours auparavant, de juifs, et particulièrement d’enfants juifs, parce qu’ils étaient nés juifs. 

Face à ces drames, la réponse du peuple français n’est plus la même qu’il y a trente ans. En 1990, lors de la profanation du cimetière de Carpentras, la France entière, par centaines de milliers est descendue dans la rue pour dire son indignation et fait unique à l’époque, avec un président de la République en exercice battant le pavé parmi les Français révulsés. Après l’affaire Ilan Halimi, le pays ne s’est pas levé en masse et il a même fallu convaincre l’opinion qu’il s’agissait bien d’un crime antisémite. Après la tuerie de Toulouse, les rues de nos villes ne sont pas remplies de réprobation et d’indignation comme elles auraient dû l’être. En janvier 2015, s’il n’y avait pas eu la tuerie de Charlie, on peut imaginer qu’il n’y aurait assurément pas eu 4 millions de personnes manifestant le 11 janvier pour les seules victimes de l’Hypercasher. 

L’antisémitisme s’est banalisé dans le pays et cette normalisation procède toujours des mêmes mécanismes. Tout commence par des mots. Personne n’a oublié qu’on a crié « Mort aux Juifs » dans les rues de Paris en 2014. Tout se poursuit par des altercations, des agressions, et termine dans des drames effroyables comme dans l’affaire de Créteil ou plus récemment celle de Sarah Halimi. 

La lutte contre l’antisémitisme et contre le déni d’antisémitisme doit répondre à deux exigences principales : la lucidité et la vérité. 

La lucidité tout d’abord : quand l’antisémitisme est là, il faut le dire, le désigner et le combattre. 

Quand « Les Républicains » ont publié une caricature antisémite d’Emmanuel Macron, on a pu entendre à longueurs de dénégations qu’il ne s’agissait pas d’un dessin antisémite, qu’on voyait le mal partout, et, comme l’a dit dans la foulée un élu LR de Chambéry, qu’on serait dans le deux poids deux mesures : Charlie a bien caricaturé le Prophète Mahomet, pourquoi ne pas le faire avec les Juifs ou leurs « alliés » supposés … De la même manière, quand Marlène Schiappa (actuellement membre du gouvernement) en 2014, en réponse à Manuel Valls, expliquait qu’il n’existait pas d’antisémitisme dans les quartiers populaires, elle illustrait aussi ce réflexe qui refuse la lucidité d’une situation pourtant évidente. 

La lutte contre l’antisémitisme passe par un travail de mise à jour du logiciel antiraciste. Avant les choses étaient simples et nous avions notre mur de Berlin : l’antisémite était d’extrême-droite, blanc et catholique. Les frontières de la haine étaient connues. Ce que beaucoup ont refusé de voir, c’est que ces frontières ont évolué. Nous n’avons pas compris ce qui se passait, à savoir qu’on pouvait être à la fois victime et auteur de racisme. Dans certains quartiers, le communautarisme et l’islam politique ont exploité la situation de jeunes en proie à de véritables discriminations. On leur a désigné les responsables «  héréditaires »  de cette situation : les Juifs. De la même manière, quand certains collectifs entretiennent l’idée que nous vivrions encore dans une société coloniale « philosémite » responsable d’un prétendu « racisme d’Etat », ils nourrissent la victimisation des uns et la haine des autres. 

La vérité ensuite. Dans les affaires d’antisémitisme, le risque auquel nous sommes souvent confrontés, c’est de laisser parler dans la précipitation nos passions avant notre raison. C’est humain mais cela peut parfois desservir la cause que nous défendons. Nous avons tous gardé un souvenir cuisant, pour ne pas dire plus, de l’affaire de la pseudo agression antisémite du RER D où nous sommes tous allés, associations, politiques, journalistes, pour dire notre indignation avant de découvrir que notre confiance avait été abusée.

Il importe donc que, dans ces affaires particulièrement graves, la vérité soit dite, toute la vérité, mais rien que la vérité. Dans l’affaire de la mort de Sarah Halimi, il apparaît aujourd’hui, qu’il s’agit bien d’un assassinat à caractère antisémite. Tout concourt à ce que cette réalité soit établie. C’est la conviction du Parquet dont le rôle est de la faire partager au magistrat instructeur. Mais comme l’affaire des agressions de Créteil, en dépit des réalités, il faut toujours trop de temps, des mois parfois et une mobilisation de chaque instant, pour que les évidences soient reconnues. Notre société éprouve toujours un mal fou à nommer les choses et à dire ce qui doit l’être. Faire reconnaître le caractère antisémite ou raciste d’un crime ou d’un délit est toujours une bataille. Comme si la société ne voulait pas voir les choses telles qu’elles sont. Comme s’il s’agissait, de nouveau, d’un tabou, qui place les victimes dans la situation de devoir réclamer avec insistance la justice, toute la justice, qui leur est due. 

Un exemple récent montre l’état de paralysie qui semble tétaniser nos sociétés lorsqu’il s’agit de désigner l’antisémitisme : la déprogrammation, sur Arte, du documentaire « Un peuple élu et mis à part : l’antisémitisme en Europe » et qui proposait de traiter la question dans sa globalité, que ce phénomène soit issu de l’extrême-droite ou du fondamentalisme musulman. Ce serait un « sujet très délicat en France » selon la chaîne franco-allemande, coincés que nous serions, pour reprendre les mots rapportés du directeur de l’information d’ARTE entre « lobby juif et lobby musulman ». La chaîne a donc préféré pudiquement cacher cet antisémitisme qu’elle ne saurait voir. Voilà comment produire une génération d’autruches autour desquelles pourront prospérer les haines les plus folles et le plus violentes, dans un aveuglement général qui nous promet des lendemains douloureux. 


Je participais hier à l’émission Du Grain à moudre sur France Culture avec un débat autour du thème : Y a-t-il un déni d’antisémitisme en France ?
Pour la réécouter, c’est ici.

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